La nouvelle de la semaine, c’est, me semble-t-il, l’ouverture de 8comix, site proposant de lire en ligne de la bande dessinée de grande tenue, puisqu’on ne trouve que des pointures dans les auteurs présents.
On trouve donc un paquet de bons auteurs parmi lesquels Cyril Pedrosa, Fabien Vehlmann, Jérôme et Olivier Jouvray, Greg et Fred Salsedo, Jason, j’en passe et des meilleurs… ou du moins de tout aussi bons.
En tant que lecteur, et surtout en tant que lecteur e xilé au pays de la saucisse-bière-choucroute, je ne peux que me réjouir de cette initiative qui va me permettre de me faire ma ligne de bulle quotidienne, autrement qu’en lisant les Autres Gens, qui récemment me surprennent moins, pour une raison que je dévoilerai en fin d’article (il va vous falloir tout se cogner, bonne chance).
En tant qu’auteur et participant du monde magnifique et merveilleux de la bande dessinée, je suis un peu surpris.
En effet, on trouve dans ce pool de champions bon nombre des membres du syndicat des auteurs de bande dessinée, dont l’immense et rubicond Olivier Jouvray, ainsi que Fabien Vehlmann, excellent scénariste aux multiples séries à succès (Seuls…, Le Marquis d’Anaon) et qui a commis cette année un excellent livre Derniers jours d’un immortel, que j’engage toute personne à lire et à relire pour découvrir comment faire de la science-fiction en tout minimalisme, sans flingue ni vaisseaux spatiaux ni monstres à dents et tentacules.

Qu'est ce que c'est que cette couv de SF sans fille à gros seins ?
Fabien Vehlmann qui a d’ailleurs écrit il y a quelques temps deux textes sur son blog, (post 1 et post 2 ) où il faisait part de son angoisse pour le métier d’auteur de bande dessinée qui se précarisait, ce qui contraignait ceux qui voulaient en vivre à multiplier les projets afin de s’assurer une existence décente (une voiture, une femme, des enfants, un chien peut-être).
( J’AI UN ENORME EDIT A FAIRE : Les textes de FV, je les ai pris de mon point de vue de petit éditeur-jeune auteur-blogueur, alors que, de son point de vue, il les a sans nul doute écrit en pensant à la grosse édition, aux grosses machines, sans penser un instant que les petits et les sans grade dans mon genre puissent se sentir concernés (bon c’est dommage, mais c’est vrai que nous ne sommes guère représentatif)… Donc du coup, voilà comment donner une vision biaisée d’un texte quand deux personnes pensent parler de la même chose alors qu’en fait non. Le texte suivant, jusqu’à ce qu’on revienne sur 8comix est donc à prendre comme un témoignage de mon amour pour la polémique, là où en fait, y en a pas )
Ce texte, qui part sans nul doute d’une excellente intention, m’avait à l’époque pas mal gêné, parce qu’il comportait trois ou quatre faiblesses, de celles qu’on pardonne aisément à un jeune inconnu, mais qui, venant d’un acteur aussi remarquable de la scène bande dessinée est éminemment dommageable quand on sait qu’on pardonne tout d’avance à l’auteur aimé et que sa parole vaut certification notariale, surtout sur internet.
Ainsi, Vehlmann témoignait d’une méconnaissance certaine de la réalité de la majorité des auteurs de BD qui, non, ne touchent pas 16 000 euros d’avances sur droit. Pas même trois mille pour un blog, comme Fabien s’en offusquait (ce que tellement d’auteurs rêveraient de toucher même pas en avances, mais comme total des droits)…
D’autre part, il déplorait, comme tous les acteurs du livre, cette « surproduction », résultat d’une course à l’échalote de l’édition à laquelle tous, auteurs comme éditeurs, semblaient se livrer, avec des conséquences contre-productives quant aux recettes engrangées par les uns comme par les autres.
Jusqu’ici, rien de très nouveau sous le soleil, tout le monde déplore la situation, mais personne ne va s’arrêter de publier.
Et c’est là que le texte de Fabien Vehlmann gêne, car il en ressortait qu’il fallait arrêter de laisser publier aux jeunes auteurs leurs livres pour rien, afin de laisser les auteurs publiés toucher des droits dignes d’eux.
Ainsi, les libraires auront plus de place et d’argent à consacrer à l’achat et à la vente des « vrais auteurs » et tout le monde sera content.
C’est un peu gênant, surtout de la part d’un auteur payé, multipliant les séries à succès et qui, soyons honnêtes, prend à chaque sortie autant de place que 15 ou 20 jeunes auteurs pas payés, chez des petits labels dont les éditeurs ne sont pas plus rémunérés (snif) et qui sont bien contents quand le libraire leur prend 5 exemplaires d’une nouveauté.
C’est un peu paradoxal de s’inquiéter dans ces conditions de l’avenir des jeunes auteurs…
Entendons-nous : il est hors de question de demander aux auteurs prolifiques, et de surcroit blindés de talent, de limiter leur production, mais les voir suggérer que les jeunes pourraient attendre d’être dignes d’être payés avant d’espérer monter dans le train où, du coup, on aurait plus de place et on serait plus à son aise… c’est assez indécent.
Alors la faute à qui ?
On va taper sur le bouc émissaire habituel : les éditeurs, ces salauds qui s’engraissent sur le dos des auteurs.

Malgré son physique rassurant, il convient de se méfier de l'éditeur.
Rendez-vous compte, ces mecs touchent du fric – je cite – dès le premier album vendu… Alors que l’auteur, lui, doit attendre un certain nombre d’exemplaires pour espérer toucher plus que les, tiens, 16 000 euros que lui a donnés l’autre salaud, qui a surement dû payer en plus 4000 euros pour produire l’album, mais tu comprends, il touche dès le premier album vendu, salaud !
Bref, quant à ces salauds d’éditeurs tout gras de l’argent qu’ils volent à l’auteur, vivement qu’un modèle miracle issu d’internet nous débarrasse d’eux afin de permettre enfin au lecteur de sponsoriser l’auteur sans tous ces vampires que sont l’éditeur, le distributeur, le diffuseur et le libraire.
Oui, parce qu’on oublie souvent de le dire, mais, si l’auteur touche entre 6 et 10% seulement du prix de vente, parfois versés en partie en avance, l’éditeurs lui, ne gagne que ce qui reste après le passage de ces trois intermédiaires que sont le distributeur, le diffuseur et le libraire, qui, à eux trois, prennent plus de 50 % du prix du livre. Ce à quoi on ajoute les frais de production du livre (imprimeurs + frais de fonctionnement) et donc notre éditeur il prend… ce qui reste. Ce qui peut représenter pas mal d’argent, effectivement… À condition que le livre se vende, bien sûr.
Je détaille un peu, mais je vous rassure, dans le post originel toutes ces précisions sordides sont soigneusement évitées, nous sommes dans la bande dessinée, soit l’art de l’ellipse et de la simplification, mais parfois, il convient de ne pas trop simplifier pour ne pas sombrer dans la caricature.
Bref : l’éditeur, il doit arrêter de tendre la griffe au lecteur et de profiter de la profusion de gens qui veulent faire de la bande dessinée, pour ne pas les payer beaucoup (ou ne pas les payer du tout) sous prétexte qu’il ne va pas vendre beaucoup du livres, voire perdre de l’argent dessus.
Dont acte : messieurs les éditeurs, tirez les premiers. Fermez donc la porte aux jeunes, ces gâcheurs !
Renvoyons les au fanzinat et à la publication blog, jusqu’à ce qu’ils soient dignes d’être payés.
Au passage, je note aussi une utilisation régulière du terme « blogueur » qui se retrouve maladroitement juxtaposé au terme « auteur », comme si un blogueur n’était pas simplement un auteur qui publie sur support internet, mais bien une sorte de sous-auteur aspirant à être édité et ainsi consacré « vrai auteur ».

Le blogueur, pas vraiment un auteur, à peine un être humain. Il n'a pas d'âme.
Et ça s’explique assez simplement, car, effectivement, du fait qu’en France la culture blog propose un contenu gratuit, on peut facilement assimiler les « blogueurs » à des bradeurs de métier qui offrent de la bande dessinée à leur lecteur, puis éventuellement aux éditeurs, donnant leur contenu pour la gloire d’être édité (et espérant ainsi rentrer dans la cour des grands, où on les paiera peut-être un jour un quart de ce que touche Fabien Vehlmann en avances sur droits, juste en tant que scénariste, vous imaginez la misère…).
Et c’est là que je reviens à l’expérience 8comix, après un sacré détour…
8comix, de quoi s’agit-il ? Il s’agit de mettre en ligne, temporairement ou indéfiniment, des planches de BD en lecture gratuite, qu’il s’agisse de BD inédite ou d’anciens projets libres de droits.
Je viens de lire la présentation qui se termine par ces mots « c’est une expérience, nous voulons tout simplement voir ce qui se passe lorsqu’on met gratuitement et collectivement du contenu inédit et de qualité sur internet. »
Spontanément, j’ai envie de répondre à cette note d’intention en disant : Du contenu collectif inédit et de qualité, mais messieurs, il suffit d’aller lire sur Grand Papier ou sur Manolosanctis… Disons que la formulation n’est pas très diplomate, mais un court passage sur le blog de Vehlmann permet de dissiper les doutes là-dessus… ces gens savent qu’il y a déjà du bon sur internet.
Donc, c’est une expérience. Mais, comme je l’ai dit, cette expérience, elle existe déjà, on connaît un paquet de sites communautaires ou de blogs proposant du contenu de qualité, donc, bon, rien de révolutionnaire. C’est plus une question de goût qu’autre chose, 8comix proposant essentiellement (mais pas que) de la BD « classique », genre planche d’album scannée et mise en ligne.
Bon.
Cependant, je m’interroge. Dans 8comix, il y a plein de membres éminents du syndicat des auteurs de BD, il y a Fabien Vehlmann, il y a Olivier Jouvray… Et voilà que tous ces auteurs qui se plaignent des éditeurs, un peu des blogueurs, qui appellent au nouveau modèle économique internet, et qui, par leur notoriété seule, pourraient légitimement demander au lecteur de payer le contenu qu’ils proposent, lancent un site de publication en ligne, où ils pourraient justement développer ce nouveau modèle payant, mais… mais non.
Non, nos grands auteurs n’osent pas.
Bien sûr, en tant que lecteur, je me réjouis de lire leurs planches à l’œil. Mais, en tant que fervent supporter du syndicat des auteurs de BD, je ne peux pas m’empêcher de demander à ses membres présents « pourquoi vous ne sautez pas le pas ? C’est vous qui avez la crédibilité, le public, bref la position pour dire au public, oui, payer un auteur sur internet c’est bien, il faut le faire, et vous ne le faites pas ».
J’ai toujours eu cette conviction que ce n’est pas au blogueur inconnu de réaliser ce passage, cette évolution des mentalités, mais bien à des gens à forte visibilité, à des gens suivis, de faire basculer le modèle gratuit au modèle payant, comme c’est le cas aux Etats-Unis, parce que oui, merde, l’auteur de BD, il peut à bon escient estimer être payé pour son boulot, parce que c’est un boulot, et pas se contenter de toucher l’argent des pubs sur le site (pour ceux qui en ont) ou les droits de son blog une fois publié sur papier.
Seulement, l’auteur de bd, il veut trop être aimé du public, je crois que c’est là que le bât blesse.
Comme l’argent, c’est sale, c’est caca, en France, il faut qu’il y ait un intermédiaire, méprisable certes, pour prendre l’argent au lecteur afin que la relation auteur-lecteur reste propre. L’éditeur, le distributeur, le libraire, c’est un peu le préservatif de cette relation.

Le libraire : le maquereau qui permet la sordide relation auteur-lecteur (dessin Libon)
Trondheim a été l’un des premier à passer à l’acte et à faire payer son travail sur internet avec Bluzdee. Mais là encore, on a un intermédiaire pour prendre au lecteur son bel argent… Ah la la, ils ne sont pas encore prêt à tenir la caisse, nos grands auteurs.
En même temps, Lewis a sûrement mieux à faire.
Pour revenir à 8comix, pourquoi toute cette bande d’auteurs qui hurlent à la mort quand on leur parle d’auteurs pas payés, de blogueurs édités à rien, pourquoi eux n’ont pas fait ce courageux choix, consistant à faire payer l’internaute ?
Ben non, on préfère demander aux autres auteurs de ne pas publier, ou aux éditeurs de refuser des projets.
Fabien, Olivier, c’est vous qui deviez initier ce mouvement, et qu’est-ce que vous faites ? Vous vous contentez de reproduire ce qui existe déjà.
Enfin… J’imagine que moi aussi je sombre dans ce travers, consistant à attendre la solution des autres, de ces gens que j’admire, plutôt que de moi-même. En même temps, moi, je suis un auteur-éditeur, les gars. Faire payer les gens, ça ne me fait pas peur.
Ce qui m’amène aux Autres Gens.
Les Autres Gens, c’est une BD-novella sur internet, créée par Thomas Cadène, un jeune auteur bourré de talent, issu de l’écurie KSTR et qui a créé et lancé cette grande fresque sur internet, avec toute une bande de dessinateurs excellents, dont l’énumération serait fastidieuse tant ils sont nombreux (et nombreuses), mais qui regroupe à la fois des auteurs issus du blog (Boulet, Manu XYZ, Lommsek) que des auteurs d’abord connus par leur œuvre éditée (Bastien Vives, Christophe Gautier ou plus récemment le dessinateur du Transperceneige, Jean-Marc Rochette).
Outre l’immense qualité graphique et narrative de l’expérience, la grande nouveauté de la chose, en tout cas en matière de sites de publication de BD en France, c’est que c’est payant et que… les auteurs sont payés.
Peut être pas follement, l’abonnement de six mois étant à 15 euros, mais oui, les auteurs sont payés et le public paie pour les lire.
Et qui a fait ça ? Pas un gros éditeur avec plein de sous , même si Dupuis a eu depuis l’intelligence d’attraper ce train en marche et le propose en livre en mars, pas une star (pas encore), non, c’est un jeune auteur avec tout juste quatre livres derrière lui qui a pris le risque seul (quoique soutenu par toute une bande d’auteurs et d’amis) de monter une structure et de proposer un contenu payant sur internet.
Et ça, oui, je trouve ça couillu, et je regrette que les pontes et stars qui composent 8comix n’aient pas fait ce choix-là. Je pense que, bien sûr, la question a du être âprement discutée, mais, hélas, c’est le choix de la facilité qui a été pris.

Le lecteur fâché "quoi ? Payer de la BD sur internet ?!!"
On n’a pas voulu fâcher le lecteur, tant mieux pour lui, et tant pis pour les auteurs qui devront attendre un peu plus longtemps que Les Autres Gens fassent des émules pour pouvoir prétendre être payés sur internet et se passer un jour d’intermédiaire, ce jour joyeux où l’on considérera que, en matière de bande dessinée, payer et être payé pour son boulot c’est pas sale.
Voilà, c’est la fin de ce long long article, où j’ai sûrement dit beaucoup de bêtises, où j’ai volontairement fait un ou deux procès d’intention dont les victimes viendront se défendre à bon droit (ou ne le feront pas, hein) et où j’ai fait une bonne pub à Thomas Cadène et aux Autres Gens, probablement parce que je fais partie de l’équipe depuis peu, mais sans doute aussi parce que c’est quelque chose de vraiment bien.
Je vais encore me faire des amis, tiens… Moi qui adore le travail de Vehlmann. A la veille d’Angoulême, c’est pas bien malin.
En attendant, je vais aller lire les excellentes BD que proposent Olivier et Fabien sur 8comix.fr …

Bonus : saviez vous qu'en Allemagne, Valerian vit des aventures galactiques avec une certaine Véronique ?